DOCTEUR PIERRE NAHON > RAMADAN 2024
Hier, veille du Ramadan, j’ai quitté, avec mon épouse, mon triste 17ème pour me rendre boulevard voltaire à Asnières sur Seine. Pas de places de stationnement, plein de voitures en double file, des embouteillages, des klaxons, du monde partout, un vrai bazar.
Celui dans lequel je suis rentré, « Nina Bazar » était bondé et dès la porte franchie je me suis senti happé par mon enfance. Je suis né en 1953 à Casablanca, je suis Français, Juif. J’ai vécu mes 18 premières années au Maroc. La promiscuité des gens qui m’entouraient étaient tout à coup réconfortante, mélange de joie et de chaleur, alors que le temps était gris, froid et pluvieux. Les yeux qui me regardaient brillaient d’amabilité et d’humilité. Tous les produits, les odeurs, les sonorités étaient ceux de ma jeunesse et j’étais comme enivré. Quand j’ai voulu payé mes achats j’ai découvert que la queue pour les caisses démarrait aux congélateurs dans le fond du magasin. Ma première réaction a été de vouloir tout reposer car j’avais un rendez-vous téléphonique. Deux personnes de la file m’ont proposé spontanément de me mettre devant elles. La dame qui m’offrait sa place, avec qui je parlais jusqu’à la caisse était Tchadienne, belle, douce, digne et je la remercie encore.
En sortant du bazar j’ai marché 20 mètres jusqu’ à la file qui attendait de pouvoir entrer dans un restaurant marocain. Devant la porte, j’ai d’abord parlé avec deux Algériennes, comme si nous nous connaissions depuis toujours, de la cuisine de ce restaurant qui, elles me l’assuraient, valait la peine d’attendre. Toujours dans la queue, j’ai engagé ensuite une discussion avec un Marocain d’une cinquantaine d’années accompagnée d’une jeune femme voilée, d’un enfant et d’une femme plus âgée. J’ai aimé cet homme, dont le parcours était aussi chaotique que le mien dans l’appréhension de nos racines. Il me regardait droit dans les yeux avec la même franche bienveillance que les marocains avec qui j’ai vécu jusqu’à mon baccalauréat. La jeune femme s’adressait à moi peut-être avec plus de réserve, l’autre dame écoutait mais ses yeux contenaient tout l’affection du monde au point de m’émouvoir.
Quand nous avons enfin une petite table au fond du restaurant, je suis chez moi, je parle arabe au serveur. Une famille complète à ma gauche, le père lançant des regards en coin afin de s’assurer que les enfants ne nous dérangent pas, quatre hommes à ma droite, le plus jovial d’entre eux me souhaite un bon appétit. Hréra, pastilla, salade marocaine…Tout a du gout, est bon et vite servi car il y a toujours la queue devant la porte. L’ambiance est joyeuse, personne ne hurle alors que le restaurant est plein. Les Algériennes s’inquiètent de savoir si nous avons aimé, le Marocain me lance un dernier regard complice. Nous sortons, il pleut, peu importe je suis au Maroc il fait beau et j’ai passé deux heures pleines d’émotions que je n’oublierai jamais.
Je décide alors d’écrire les sentiments que j’ai ressentis et cherche le nom du bazar et du restaurant. NINA est un nom hébraïque qui signifie grâce. Les Ninas sont gentilles, protectrices, généreuses, bienveillantes. Le restaurant s’appelle « L’ESPOIR » Espoir ! C’est LE mot que j’ai prononcé en disant à ma femme ce que je ressentais en quittant le restaurant. L’espoir d’un retour au bon vivre entre musulmans, juifs, chrétiens et autres Français. Espoir, qui je dois le dire tristement, m’avait quitté progressivement mais qui le temps d’une courte immersion dans la communauté intacte de mes racines a chaviré mon cœur jusqu’aux larmes.
Bon Ramadan 2024 à tous les Musulmans.
Pierre NAHON